D’après différentes études et observations, le problème d’équité entre salariés est l’une des principales souffrances pour ces derniers. Lorsque l’on tape même « équité entreprise » sur son moteur de recherche favori, il semble difficile de ne pas échapper à la litanie d’articles détaillant les études sur les « effets sur la santé des travailleurs », et les mesures proposées par des grandes entreprises (exemple : « 12 conseils pour favoriser l’équité au travail » par Meta) comme par divers observatoires, français ou internationaux (exemple : « Equité au travail : concept, mesure et effets sur la santé » par l’INRS), pour lutter contre ce problème.
Ce concept d’équité est intéressant à étudier en tant que tel, notamment parce qu’il permet de réfléchir à sa différence par rapport au concept d’égalité, de la même façon qu’il est important de distinguer « l’efficacité » de « l’efficience » (cf argumentaire sur la Capsule « Propositions commerciales » de LIST). Mais il est en outre important de s’y intéresser puisqu’il semble avoir de lourdes conséquences sur le bien-être et l’engagement des équipes.
Ainsi, schématiquement, un salarié ne quittera que rarement et difficilement son entreprise pour la simple raison qu’il sait qu’il peut avoir une rémunération significativement plus élevée « en externe » ; en revanche, il peut plus facilement la quitter s’il pense qu’il est traité injustement relativement à des collègues « en interne ».
Cela peut bien entendu paraître contre-intuitif ; du moins si l’on continue à prendre implicitement le référentiel de « l’agent économique rationnel » tel qu’il était défini et utilisé traditionnellement. Cependant, outre le facteur classique de l’asymétrie d’information, on peut convoquer à nouveau les travaux d’économie comportementale de Daniel Kahneman et consorts pour expliquer ce phénomène. Le psychologue écrit par exemple dans son ouvrage Système 1 / Système 2, au chapitre 26 – La théorie des perspectives :
« Dans la théorie de Bernoulli, il vous suffit de connaître l’état de richesse pour en déterminer l’utilité, mais dans la théorie des perspectives, vous devez aussi connaître l’état de référence. »
(…) « Le troisième principe est l’aversion à la perte. Quand on compare directement les unes aux autres, les pertes sont plus impressionnantes que les gains. »
Daniel Kahneman – Système 1 / Système 2 – chapitre 26 – La théorie des perspectives
Ainsi, contre-intuitivement, et peut-être même paradoxalement, un employeur aurait tendanciellement plus intérêt à « payer moins que le marché » ses salariés mais à être très rigoureux sur l’équité en interne, plutôt que de payer « plus que le marché » puis à ne plus s’occuper du sujet et laisser des systèmes inéquitables s’installer.
Mais qu’en est-il des relations entre Associés ? Etonnamment, lors des premières recherches, rien ne ressort sur ce sujet. Cela demeure pourtant un enjeu clé de la Gouvernance d’entreprise, qui impacte elle-même directement également l’ensemble des salariés (cf chapitre E de l’ouvrage La Stratégie du Vide).
En effet, les observations des comportements entre associés témoignent elles aussi d’un fonctionnement similaire, ce qui est tout à fait logique puisqu’il serait lié, notamment, à la psychologie humaine : dans de nombreux cas, les associés n’évaluent pas leur situation individuelle par rapport au reste du marché, mais avant tout par rapport à leurs autres associés. On connaît même des cas, pas si exceptionnels que cela, où l’un des associés met en danger l’entreprise et sa viabilité même, essentiellement parce qu’il adopte une position en ayant les yeux rivés sur ses autres associés ; par exemple pour éviter que ceux-ci « gagnent plus que lui », de façon injuste à ses yeux.
Quelles sont les implications de cette réflexion ?
De la même façon que certains professionnels de santé expliquent que le plus simple pour gérer sa consommation de sucre, c’est de ne pas en avoir dans ses placards, certains conseils aguerris recommandent tout simplement d’éviter de s’associer… : évidemment, pas d’associés, pas de problèmes d’équité entre associés !
Mais que penser lorsque l’association demeure nécessaire, ou existe déjà tout simplement ? En particulier, que dire du cas de l’association avec des un Fonds d’Investissement dans le cas d’une Startup ou d’une PME, par exemple ?
Notons tout d’abord qu’il n’est pas absurde de penser, de prime abord, que l’entrepreneur et son fonds d’investissement sont généralement structurellement désalignés, du fait de l’existence de certaines clauses désormais classiques du pacte d’associés ; en particulier la clause dite de « Liquidité préférentielle » (qui assure un traitement préférentiel de la valeur captée par le fonds lors de la vente à l’issue de sa période d’investissement), et celle instaurant sa capacité à forcer sa sortie (la vente de ses parts) à une date prédéterminée.
Cette dernière clause peut notamment créer une tension entre le projet entrepreneurial long terme du Dirigeant (et que dire de la vision de transmission d’une entreprise familiale…), et la durée « courte » (4-5 ans souvent) de l’association du Fonds d’Investissement.
Est-ce pour autant cela qui est réellement problématique, et une possible cause d’un problème d’équité ? Pas forcément. Ce qui semble être une source plus grande des difficultés évoquées est en réalité le manque de clarification d’un objectif commun lors de la transaction et l’entrée du fonds au capital de l’entreprise. Trop souvent, ce point pourtant crucial pour la réussite de la relation entre ces associés demeure flou, voire absent des discussions et négociations initiales. Pourtant, l’entrepreneur pourrait saisir l’opportunité de la durée limitée du cycle d’investissement pour bâtir un projet stratégique relié explicitement à l’objectif financier du fonds, et partagé par l’entrepreneur.
De même, le Fonds d’Investissement pourrait travailler son positionnement pour construire un objectif économique réellement partageable avec l’entrepreneur, et donc différent du « simple » objectif du retour financier. Pourquoi ? Principalement parce que la pratique actuelle de valorisation dépend d’un « multiple », qui lui-même fluctue beaucoup dans le temps, et est en réalité hors de contrôle de l’entrepreneur au moment de la sortie du Fonds. Pour l’entrepreneur, avoir un objectif qui dépend principalement d’un paramètre qui est hors de son contrôle est alors source d’un possible sentiment d’injustice pour lui lors de la sortie du fonds à la fin du cycle d’investissement.
Nous le voyons, ce sujet est loin d’être clos : réjouissons-nous donc, car cela peut être source de travaux passionnants !
[Credit Photo : Priscilla du Preez]
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