Introduction
Dans notre monde économique, la confiance demeure un pilier fondamental du succès durable. Pourtant, de nombreux dirigeants de PME sous-estiment encore son rôle, tant dans les relations commerciales que dans la construction d’une stratégie à long terme.
Comme le montrent les travaux d’Alain Peyrefitte dans La Société de Confiance, les civilisations qui prospèrent ne sont pas simplement les plus riches ou les plus armées, mais celles qui reposent sur la confiance entre individus, institutions et entreprises. Cette idée résonne également dans la théorie des jeux, qui illustre comment la coopération est bien souvent plus efficace que la méfiance.
La confiance expliquée par Patrick Chassagne : aux fondements du modèle japonais ?
Dans sa brillante vidéo (à partir de 23 minutes et 40 secondes dans le lien) pour les chroniques hebdomadaires, le coach pour entrepreneurs Patrick Chassagne, profitant d’un voyage au Japon, et convoquant d’autres sources telle que les travaux de Francis Fukuyama, expose une réflexion sur la confiance, et son rôle clé pour le développement des entreprises, et en filigrane de nos sociétés. Il développe en particulier :
- le rôle fondamental de la confiance dans les interactions sociales ou économiques,
- comment elle génère de la performance durable,
- et pourquoi elle est difficile à construire, mais facile à briser.
Que pouvons-nous développer pour les dirigeants de PME, et nos sociétés, à partir de cette réflexion inspirante ?
La confiance, une clé historique de développement (Peyrefitte)
Les travaux de Peyrefitte décrivent deux modèles de société opposés, que l’on peut résumer ainsi :
Société de confiance versus société de défiance
Dans La Société de Confiance (1995), Alain Peyrefitte avance une thèse puissante : la confiance est le facteur-clé du développement durable des sociétés. Selon lui, ce n’est ni la religion, ni le climat, ni même les ressources naturelles qui expliquent la richesse des nations, mais bien la capacité d’une société à fonctionner sur la base de la confiance.
Il oppose deux modèles :
- La société de défiance, dans laquelle l’État contrôle, sanctionne et régente,
- Et la société de confiance, où l’initiative individuelle est encouragée, et où les relations reposent sur la parole donnée et la réciprocité.
Les sociétés les plus performantes économiquement, selon Peyrefitte, sont celles où la confiance mutuelle est institutionnalisée : moins de surveillance, moins de contrôle, plus d’engagement citoyen et économique. Cette approche rejoint très directement les enseignements de la théorie des jeux.
La Théorie des Jeux et la Confiance
La théorie des jeux offre un cadre pour comprendre les dynamiques stratégiques basées sur la confiance ou la méfiance entre acteurs économiques.
Gains coopératifs versus stratégies défensives
Dans la théorie des jeux, la confiance est indispensable pour atteindre des résultats collectivement optimaux. Les jeux comme le Dilemme du Prisonnier montrent que deux acteurs rationnels peuvent aboutir à une situation perdant-perdant s’ils ne se font pas confiance.
Jeux répétés et réputation
Mais dès que les jeux sont répétés, ou que les joueurs prennent en compte leur réputation, la coopération devient rationnelle. Cela reflète le principe fondamental de la confiance : elle réduit le coût de l’incertitude, favorise la coopération et permet des gains mutuels durables.
Dans une PME, cela se traduit par :
- des relations clients plus solides,
- des partenariats plus fluides,
- et une culture d’entreprise plus résiliente.
L’erreur fréquente : penser que la transaction est isolée
Nombre de dirigeants pensent que chaque opération est isolée. Cette vision est erronée dans un contexte de jeux répétés.
Le marché a de la mémoire
De nombreux dirigeants raisonnent transaction par transaction, avec une vision court-termiste : « si je peux tirer avantage aujourd’hui sans enfreindre la loi, alors j’ai gagné ».
Mais ce raisonnement est une illusion stratégique. En croyant qu’une transaction est isolée, certains négligent la mémoire du marché :
- Une réputation se construit par accumulation.
- Un comportement douteux, même légal, laisse une trace dans les réseaux.
- Les partenaires d’aujourd’hui sont souvent les ambassadeurs ou détracteurs de demain.
Jeux répétés et stratégie à long terme
En théorie des jeux, on dirait que ces dirigeants oublient qu’ils sont engagés dans un jeu répété, non un one-shot. Et la mémoire du marché, c’est cette réputation collective qui finit par fermer ou ouvrir des portes bien après la fin d’une transaction.
Exemple d’une PME et de la rupture de confiance
Cette section illustre concrètement comment la rupture de confiance entre des investisseurs et une PME peut émerger malgré un bon démarrage relationnel. Elle met aussi en lumière les enjeux profonds liés à la gouvernance et à la gestion des engagements mutuels.
Le contexte de la levée de fonds : dérogation aux règles sacro-saintes
Prenons le cas d’une PME innovante, qui a su convaincre plusieurs investisseurs de s’engager dans son capital. Pour cela, elle a obtenu qu’ils dérogent à certaines clauses dites « sacro-saintes » des pactes d’associés, en insistant sur une relation de confiance et une vision commune.
La rupture de gouvernance
Quelques temps après la levée de fonds, les dirigeants ont cependant commencé à prendre des décisions stratégiques unilatéralement, en s’écartant progressivement de l’hypothèse implicite de recherche d’un optimum économique partagé. Les investisseurs, mis devant le fait accompli à plusieurs reprises, ont fini par constater une rupture entre le discours initial et les actes.
La société, en difficulté économique et en blocage de gouvernance, a fini par proposer aux investisseurs un choix :
- soit une sortie rapide mais fortement décotée,
- soit une sortie plus longue au pair, mais incertaine et sans réelle visibilité.
Une négociation mal interprétée
Tous les investisseurs ont choisi la sortie décotée. Les dirigeants ont pu croire à une belle négociation, mais les signaux du marché sont clairs : la confiance est rompue. Ce choix unanime d’une sortie dévalorisée est souvent le reflet d’un désengagement profond.
Ce cas met également en évidence l’importance du cadre juridique comme expression d’une confiance formalisée. Un pacte d’associés n’est pas seulement une compilation de clauses techniques, mais un contrat de confiance. Il faut que chaque partie comprenne le sens stratégique et relationnel de ces dispositifs.
Cela illustre aussi que l’investissement est une discipline juridico-financière : ce n’est pas qu’une question d’argent, mais de cadre, de confiance et de règles du jeu communes. L’absence d’un regard juridique stratégique dans les organes de direction, qui est malheureusement un manque problématique dans les organes de gouvernance des PME comme je l’ai déjà exprimé précédemment, comme le comité de direction, peut conduire à ignorer des signaux faibles cruciaux et des risques relationnels majeurs.
La société de contrôle : une dérive technologique ?
À l’opposé de cette logique de confiance, un autre modèle émerge dans les sociétés contemporaines : celui de la société de contrôle. L’auteur et intellectuel Ignacio Ramonet, dans L’Empire de la Surveillance, alerte sur la montée en puissance d’un monde où les comportements ne sont plus encadrés par la confiance, mais par des outils de surveillance massive :
- Reconnaissance faciale,
- Pass numériques,
- Euro numérique tracé,
- Caméras et IA dans l’espace public.
Selon Ramonet, ces dispositifs instaurent une logique du soupçon permanent. Chaque mouvement, chaque transaction, chaque interaction devient une donnée à enregistrer, à analyser et à potentiellement sanctionner. Dans ce modèle, la société se ferme à la confiance : on ne croit plus à la bonne foi des individus, on préfère tout surveiller.
Conclusion : Confiance ou Contrôle ?
Recommandation : faire de la confiance un axe de gouvernance
Instaurer une culture de la confiance passe par la cohérence entre les décisions, le bon degré de transparence dans la communication interne et externe, et la capacité à intégrer des fonctions de régulation (notamment juridique) dans les processus décisionnels. La gouvernance d’entreprise ne peut se contenter de viser l’optimisation à court terme ; elle doit intégrer la construction de la confiance comme objectif stratégique explicite.
Construire la confiance comme levier de performance
Le dilemme est clair : souhaite-t-on construire une société où la performance repose sur la responsabilité, la coopération et la transparence, ou un monde régi par la peur, le contrôle et la surveillance permanente ?
Pour les dirigeants de PME, cela se traduit par des choix concrets :
- Agir avec intégrité même quand ce n’est pas « obligatoire »,
- Cultiver la réputation comme un actif stratégique,
- Et refuser les pratiques qui, à court terme, fragilisent la relation de confiance avec le marché.
Comme le résume Peyrefitte :
« La société de confiance est celle où l’on fait ce qu’on dit, et où l’on dit ce qu’on fait. »
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