Ce qui est amusant dans les rencontres avec de nouvelles personnes, c’est l’enchaînement d’événements et de réflexion qu’elles peuvent initier, généralement à leur insu. Tel le fameux « Effet Papillon ». Cela reflète d’ailleurs assez bien la liberté jouissive de la Pensée et de l’association d’idées.
Ainsi, récemment, lors d’un déjeuner avec des personnes que je ne connaissais pas dans leur grande majorité, une des invitées a raconté ses vacances à Rome, sa visite au Vatican, et la suggestion de son guide pour parfaire sa connaissance du sujet : le film Les 2 Papes, de 2019 avec Anthony Hopkins, actuellement disponible sur l’une des principales plateformes de productions cinématographiques. Ayant suivi cette recommandation, elle conseillait à son tour à l’assemblée présente au déjeuner de le visionner. Ce que j’ai fait il y a peu.
Ce qui m’a frappé sur le moment – étant moi-même peu connaisseur du sujet abordé, mais essayant d’accueillir plutôt favorablement les réflexions nouvelles – a été l’hypothèse, totalement nouvelle pour moi, de la possibilité d’un antagonisme intrinsèque au Christianisme, suggéré dans ce film par l’opposition entre le Pape Benoît XVI et son futur successeur, le Pape François (et les courants internes qu’ils représentaient).
Tout d’abord, l’opposition des 2 hommes alimente l’une des questions les plus classiques concernant le rapport de la Religion avec la Société ; à savoir celle du changement, c’est-à-dire de l’arbitrage entre le risque et l’opportunité de faire évoluer les pratiques et l’organisation de l’institution en fonction de l’évolution sociale et sociétale.
Ici, la question explicitée était la suivante : si l’Église Catholique n’évolue pas, est-ce une des causes de la perte d’influence et d’adhésion de la population (« nos églises sont belles, mais elles sont vides ») ? A contrario, l’évolution en fonction des attentes de la population ne transforme-t-elle pas la nature-même du discours et du rôle du religieux, en contredisant sa dimension « atemporelle », spirituelle et visant à la transcendance (« si l’Église épouse une époque, elle sera enterrée à la suivante ») ?
Mais outre cette question somme toute classique, on pouvait lire cette opposition de façon différente, en s’interrogeant sur des points peut-être plus spécifiques au Christianisme. En effet, le courant représenté par le (futur) Pape François semblait être – dans ce film, rappelons-le… – tel qu’il apparaissait s’inspirer de la « voie du Christ » (« Où aurait été le Christ ? A boire du thé dans le palais avec les militaires, ou en prison avec les missionnaires ? »). Tandis que celui représenté par le Pape Benoît XVI pourrait être celui du dogme, et de son « proxy » qu’est la tradition de l’institution (cf ses références à la Bible ; « institution vieille de 2000 ans » ; le recours au latin ; « tu n’es pas le Christ ! »…).
Et c’est ici que la possibilité d’un antagonisme intrinsèque apparaît.
Ces questions peuvent en amener d’autres (notamment relatives aux particularismes du Christianisme en tant que « monothéisme » ; ou à la nature du Protestantisme comme courant interne versus « autre religion »), mais nous ne développerons pas ici ces questionnements, pour ne pas trop nous éloigner du sujet « Entreprises ».
Mais d’ailleurs : quels rapports entre ces questionnements issus du visionnage du film Les 2 Papes d’une part, et les enjeux des entreprises d’autre part ?!….Le lien proposé est le suivant : celui d’un des principaux « mythes » faisant actuellement rage au sein des entreprises ; à savoir la dite Satisfaction client.
En effet, de façon similaire aux débats intestins mentionnés ci-dessus, ceux internes aux entreprises relatifs à la place de la Satisfaction client portent en réalité sur les mêmes enjeux : de façon contre-intuitive, il est probable que bon nombre d’entreprises disparaissent en réalité à cause d’une trop grande emphase sur la Satisfaction client !
De la même façon que Henry Ford disait « si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides » [au lieu d’automobiles], illustrant ainsi l’un des enjeux clés de l’Innovation Produit, de même bon nombre d’entreprises doivent souvent arbitrer entre 2 forces antagonistes : la valeur de son expertise interne versus la recherche de la satisfaction client.
Autant, traditionnellement, cela n’est pas un enjeu pour un médecin par exemple (on imagine mal, du moins a priori, un médecin prescrire à un patient du paracétamol au lieu d’une intervention ou un traitement plus efficaces pour la seule raison que cela satisferait plus le patient…), autant bon nombre d’entreprises ont désormais des difficultés à privilégier leur rôle d’expert, quitte à, en apparence et sur le court terme, prendre le risque « d’insatisfaire son client ». Et, contre-intuitivement, cela contribue, voire cause, la disparition de ces entreprises, enclenchant notamment un cercle vicieux de diminution, voire de disparition, de leur valeur d’expertise. Mais, bien entendu, sans un minimum de satisfaction client, ces entreprises disparaissent également…
Pour finir d’illustrer cette similarité avec des enjeux clés pour les entreprises, ajoutons que nous avons récemment travaillé sur des problématiques de « qualification du besoin client » au sein des entreprises. En particulier, nous avons insisté sur la nécessité pour l’entreprise de comprendre le besoin client « derrière » la demande exprimée par celui-ci. C’est notamment à cet endroit que se joue le rôle de l’expertise de l’entreprise : elle doit, en partie du moins, assumer de savoir ce qui est bénéfique pour son client, au-delà de ce que ce dernier en dit.
La question que nous pouvons nous poser serait donc désormais la suivante : quels sont les paramètres qui influent sur le choix de privilégier la valeur d’expertise ou la satisfaction client ? Peut-être dans un prochain article…
[Credit Photo : DDP]
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