Face à l’IA et à la volatilité économique, le véritable avantage compétitif des dirigeants reste leur esprit critique.
Le rapport à la connaissance est l’un des principaux déterminants de la vie humaine, tant au niveau qu’au niveau collectif. En tant que moteur de son développement notamment. La Religion, la Science, mais également la Technologie s’articulent – entre autres – par rapport à lui.
Evidemment, un des points clés est la source de la connaissance. Et la technique, ainsi que la technologie, ont modifié en partie la nature des sources, en rendant aussi plus floues les distinctions entre Connaissance, Savoir, Information, et Données : écriture, imprimerie, internet… Mais aussi GPS ; et désormais IA Générative.
En effet, actuellement, l’IA Générative est certes utilisée pour effectuer plus efficacement et rapidement des tâches techniques fastidieuses (ex : lecture et résumé de documents textes), ou au contraire pour permettre d’effectuer des tâches techniques intrinsèquement digitales (ex : création d’une image digitale). Mais l’un des usages très populaire également est de la considérer comme un puits de connaissance : non seulement on l’interroge pour trouver une restaurant, programmer ses vacances, ou acheter le meilleur produit recherché ; mais on l’interroge aussi sur toute une sorte de questionnements intimes, allant de la forme de la Terre à des interrogations d’ordre spirituelles.
Beaucoup ont invoqué la figure de Prométhée comme analogie de l’IA, s’interrogeant sur cette prétention humaine de faire la genèse d’une entité intelligente, tel un être divin. Mais on peut aussi convoquer la figure de Pic de la Mirandole, cette figure clé de l’Humanisme qui tendait au savoir universel, réalisant un syncrétisme entre les Sciences et les différentes approches spirituelles connues à son époque.
Ainsi, parmi les inducteurs clés de la réaction des sociétés nationales à l’apparition actuelle de l’IA Générative, on peut penser que son rapport à la Connaissance joue un rôle important, outre les craintes et les ambitions permises par cette rupture technologique.
Et force est de constater que, malheureusement, le rapport à la Connaissance semble s’être terriblement dégradé en France depuis quelques années, comme pourrait en témoigner, de façon approximative, la chute libre du niveau scolaire, et notamment en Mathématiques, en rupture avec une certaine tradition historique. Les résultats récents aux Olympiades de Mathématiques ou à celles de l’IA, tout comme les études sur le niveau des écoliers français, historiquement ou relativement aux autres pays, pourraient être source – ou confirmation – d’une inquiétude légitime.
Ces éléments sont d’autant plus importants qu’ils font partie des déterminants de la force d’une société nationale d’après certains penseurs, comme l’anthropologue Emmanuel Todd, qui insiste fortement sur la lecture de certaines données sociales fondamentales dans ses méthodes d’analyse. C’est le cas des données démographiques (taux de naissance, taux de mortalité infantile, etc…) évidemment. C’est cette méthode qui l’avait amené à anticiper la chute de l’URSS quelques années avant son effondrement, ce qui lui a valu une belle notoriété évidemment. Désormais, avec cette même approche méthodologique, il diffuse ses théories sur la chute de l’Occident. Et parmi les indicateurs clés qu’il commente, il y a le nombre d’ingénieurs formés par chaque pays ; ce nombre est, selon lui, très faible en Occident, y compris aux USA, en comparaison avec d’autres grandes puissances, asiatiques bien sûr, mais également avec la Russie. C’est notamment cette donnée qui lui fait commenter le conflit actuel comme une sorte de déni de réalité, devant la supériorité de la Russie selon lui.
Ainsi, dans l’un de ses derniers articles1, Emmanuel Todd va jusqu’à proposer l’idée que la Russophobie de l’Occident est avant tout un révélateur de notre propre pathologie, comme le test de Rorschach le permet théoriquement en psychiatrie.
Mais en faisant le lien avec le rapport à la Connaissance, et sachant que ce sont justement les jeunes russes qui ont gagné la première place aux Olympiades d’IA cette année, l’on pourrait se demander si une autre analogie concernant notre attitude ne serait pas la figure du « bully », ce cancre agressif qui martyrise les bons élèves de sa classe, comme s’il anticipait les difficultés socio-économiques de sa vie adulte future, et qu’il compensait cela pendant cette période scolaire comme la seule où il peut « avoir le dessus » sur ces camarades.
Et c’est dans ce contexte que l’environnement économique, et non pas uniquement géopolitique, est entré en phase de très forte volatilité (cf la phase 4 des marchés, telle que proposée dans mon livre La Stratégie du Vide2). La « guerre des tariffs » menée par Trump et son équipe actuellement est la confirmation – si besoin était – que nous sommes entrés dans cette phase de matérialisation de risques et de volatilité, en particulier pour les pays européens, et surtout pour la France, comme en témoignent les chiffres historiquement élevés des faillites d’entreprises françaises ou du ratio Dette / PIB de la France. Ce phénomène semble en outre amplifié par les décisions de nos gouvernements qui font aussi exploser les coûts d’énergie.
Dans ce contexte géopolitique et économique, quelles réflexions prospectivistes pour les PME et les Fonds d’investissement liés ?
Tout d’abord, notons que dans un tel environnement de volatilité, il serait logique de penser que le modèle traditionnel du LBO financier, qui repose sur une bonne prévisibilité des Cash Flows Opérationnels, que l’on peut en outre augmenter avant tout par de l’excellence opérationnelle, pourrait être mis à mal par les conditions actuelles. Dit autrement, pour les gestionnaires de fonds financiers, ils pourraient chercher à s’inspirer plus de la logique du Trading (tirer profit de la volatilité) que de l’Investissement avec payoff moyen terme, bien que la pression à déployer puisse alors poser problème… De même, pour les entrepreneurs, il s’agit peut-être d’un moment où il faut repousser certains investissements structurants car à horizon de temps trop lointains en termes de ROI.
En outre, ces turbulences sont accompagnées de discours sur les priorités RSE, qui peuvent s’apparenter à un « habillage » de la paupérisation des sociétés (cf commentaires dans La Stratégie du Vide), et notamment à la limitation de la liberté de mouvement, conséquence, entre autres, de l’explosion des coûts d’énergie. Ainsi, sur le court-moyen terme, l’on pourrait s’attendre au développement de réseaux territoriaux locaux, et au renforcement des besoins de réparation et maintenance, plutôt que de l’achat neuf.
Par ailleurs, en particulier en lien avec la première partie de cet article, on pourrait anticiper la continuation de la montée en puissance des offres privées de formation, tant pour les étudiants que pour le monde professionnel, notamment en remplacement de l’offre publique qui pourrait diminuer fortement, et en particulier pour s’adapter en compétences dans les domaines liés à :
- IA et nouvelles technologies
- Local et Réparation
- Autres pénuries dans les métiers « traditionnels » non remplacés par l’IA sur le court-moyen terme
Enfin, sur le court-moyen terme, ce sont quasiment tous les emplois liés à « l’économie de l’information » qui sont menacés par l’IA Générative, d’autant plus qu’ils sont les plus propices aux Bullshit Jobs selon l’auteur de l’ouvrage éponyme David Graeber. En France, il s’agit probablement de ¼ à 1/3 des emplois actuels, soit beaucoup plus que ce que les messages rassurants, basés sur une méconnaissance de la théorie de la « destruction créatrice » de l’économiste Schumpeter (qui dit en réalité le contraire de ce que la plupart des gens en disent – cf mon commentaire dans La Stratégie du Vide), essaient de faire croire. Or, ce sont très majoritairement des « emplois de bureau ». Donc, dernière conséquence en termes de réflexion prospectiviste pour les PME et Fonds d’investissement liés, une remise en cause de l’immobilier de bureau semble s’imposer, bien qu’elle ait déjà été amorcée avec la tendance du télétravail.
Pour conclure, quelles recommandations court terme pour les dirigeants de PME et les fonds d’investissement liés, dans ce contexte qui peut être perçu comme anxiogène et inhibant pour certains ?
- Retrouver la pratique de la Discipline dans son métier, dans l’esprit des Stoïques, et ainsi aligner retrouver notamment la valeur de la préparation.
- De ce fait, comme pour la pratique sportive ou la condition physique, développer des routines d’entraînement adaptées aux dirigeants de PME.
- Et donc, se focaliser en particulier sur le développement de son esprit critique, particulièrement mis à mal par l’environnement et l’époque. Or, la première tâche métier du Dirigeant de PME est justement de penser, pour mieux décider !…
Et bonne nouvelle, la devise de mon approche professionnelle est « Penser, et faire penser » : c’est pourquoi, en cette rentrée de septembre 2025, je lance une nouvelle offre, très singulière, et totalement adaptée à cet environnement et cet objectif !
Pour les dirigeants chez qui ce propos résonne, je vous propose de découvrir cette nouvelle offre « Séances de Pensée stratégique » : je serais ravi d’en discuter avec vous.
Jérémy Doukhan
08/2025
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